Série Cat’s Eyes sur TF1, devant la pyramide du Louvre, 2024
© Pyramide du Louvre, arch. I. M. Pei, musée du Louvre - photo © Caroline Dubois-Big Band Story-TF1
Sept ans ont été nécessaires pour développer et produire cette adaptation du célèbre manga de Tsukasa Hōjō, par ailleurs auteur de Nicky Larson, le détective « fou fou fou » que connaît bien la génération des fans de Signé Cat’s Eyes (1983–1985).
La production n’a pas lésiné puisque la série nous promène d’un chef-d’œuvre à l’autre tout en faisant défiler des décors de carte postale, de la tour Eiffel au château de Versailles.
Pour faire la lumière sur la mort de leur père, un marchand d’art, trois sœurs intrépides Sylia (Constance Labbé), Tamara (Camille Lou) et Alexia (Claire Romain) s’improvisent cambrioleuses et enchaînent les vols de tableaux dans la Ville lumière, sans reculer devant les dangers ! Entre cascades effrénées et bagarres musclées, elles tentent aussi de gérer leur vie amoureuse.
Outre le père des sœurs Chamade, disparu à la suite de l’incendie de sa galerie, de nombreux personnages de l’intrigue gravitent dans le monde de l’art. Sylia, l’une des trois sœurs de Cat’s Eyes, est guide au musée des arts asiatiques – Guimet. Si elle se fait enguirlander par la direction pour son manque d’assiduité, on la verra toutefois achever, passionnée, une visite avec un groupe au sein de la majestueuse Cour khmer, avec l’immense Chaussée des Géants, et la Tour à visages.
Série Cat’s Eyes sur TF1, au musée Guimet, 2024
© Caroline Dubois / BIG BAND STORY / TF1
Tam devrait faire attention ! La cadette des voleuses est dans la ligne de mire de son ex-petit ami Quentin (incarné par MB14), policier à la brigade de répression du banditisme (BRB) et chargé d’enquêter sur les disparitions d’œuvres d’art qui se multiplient à Paris. C’est plutôt bien trouvé car il existe réellement un groupe spécialisé dans la répression des vols d’objets d’art – également appelé le « Groupe Brocs » – au sein de la BRB, une des brigades centrales de la Direction régionale de la police judiciaire de la préfecture de police (DRPJ Paris).
Chic, cultivée, un brin fantasque, Hélène Durrieux (Carole Bouquet) est une galeriste. On ne connaît pas tellement ses goûts en matière d’art, mais elle était proche du père des trois sœurs qui exerçait aussi le métier de galeriste. Autre personnage : Armand Chassagne (Gilbert Melki), un obscur et cynique marchand d’art, a ses bureaux à l’hôtel de la Monnaie de Paris. On y accède depuis la place Condorcet ; juste à côté de la galerie Larock-Granoff : mais les sœurs Chamade vont préférer passer par les toits pour lui rendre une petite visite nocturne…
Dès le premier épisode, on file au premier étage de la tour Eiffel où, chose assez rare, se tient une grande exposition consacrée à l’art japonais. Parmi les œuvres accrochées, les sœurs Chamade jettent leur dévolu sur un kakemono qui aurait appartenu à leur père. Tam avait dessiné une petite patte de chat au revers de l’œuvre lorsqu’elle était enfant.
Taguchi Fukinaga, Belle gidayuu avec un chat, vers 1830
Peinture sur papier et sur soie • 123,5 × 34 cm • Coll. ENSBA, Paris • © Beaux-Arts de Paris, Dist. GrandPalais Rmn / image Beaux-arts de Paris
Pour savoir s’il s’agit bien de celle-ci, elles vont s’emparer (non sans acrobatie et voltige) du bien précieux connu sous le nom de « La Lectrice » dans la série. Rassurez-vous, la vraie œuvre n’a pas été volée, Belle Gidayuu avec un chat (de son véritable nom), peinture sur soie montée en kakemono réalisée vers 1830 par Taguchi Fujinaga, élève d’Hokusai, demeure toujours dans les collections de l’École nationale des beaux-arts de Paris où elle est entrée en 1907.
On vous l’a dit plus haut, Sylia travaille au musée national des Arts asiatiques – Guimet. Elle se permet d’ailleurs d’aller dans ses réserves pour « emprunter » une estampe rare d’Hokusai. Hodogaya sur la route du Tôkaidô (Tôkaidô Hodogaya) doit servir à duper un expert que les sœurs soupçonnent d’être impliqué dans un réseau de trafic d’œuvre d’art et dans la disparition de leur père. Sylia ressort tranquillement du musée, sans se retourner sur les Gardiens du Temps, installation monumentale de l’artiste franco-chinoise contemporaine Jiang Qiong Er qui orne la façade. Si simple…
Jiang Qiong Er, Gardiens du Temps, 2024
Installation monumentale sur la façade du musée Guimet, Paris • © Frédéric Berthet
Jean-Honoré Fragonard, Jeune fille dans son lit, faisant danser son chien, 1770–1775
Huile sur toile • 89 × 70 cm • Coll. Alte Pinakothek, Munich
Aucune chance de voir ce Fragonard dans le coffre d’un expert parisien comme la série l’imagine… Jeune Fille et son chien, également appelé « La Gimblette », peint par Jean-Honoré Fragonard en 1770 est conservé à la Alte Pinakothek de Munich. Cette huile coquine a toutefois été peinte en plusieurs versions, dont certaines laissent voir une « gimblette », une petite pâtisserie sèche, tendue par la jeune fille à son petit chien dont la queue cache juste ce qu’il faut entre les jambes.
La série dévoile aussi une époustouflante collection anonyme au travers d’une vente aux enchères événement qui attire tout le gratin de l’art au château de Versailles. Cela va très vite, mais dans l’épisode 3, on aperçoit au clou des chefs-d’œuvre emblématiques de l’art moderne, notamment La Chambre de Van Gogh à Arles, Le Cheval blanc de Paul Gauguin, Pommes et biscuits de Paul Cézanne, L’Opéra Messaline au théâtre de Bordeaux par Toulouse-Lautrec, Paradis terrestre, mais aussi, Le Cannet de Pierre Bonnard… ; mélangés à des trésors de la peinture classique tels le Portrait de jeune homme par Tintoret, La Dentellière de Gérard Dou, La Source d’Ingres, ou plus étonnant une Nature morte au jambon de Philippe Rousseau.
Annoncé comme un « Portrait de femme » d’Amedeo Modigliani lors de la vente aux enchères du château de Versailles, Madame Zborowska (1918) est l’un des nombreux portraits de l’artiste représentant Anna Zborowska, la compagne du marchand d’art polonais Léopold Zborowski. La toile cristallise l’attention d’un collectionneur masqué, lequel a beau enchérir mais la verra lui passer sous le nez à cause de Tam qui a offert plus ! Malgré la somme vertigineuse de 10 millions d’euros (que la sœur ne paiera bien sûr pas), c’est une paille pour un Modigliani dont le Nu couché de 1917 s’est envolé à 157 millions de dollars en 2018.
Amedeo Modigliani, Portrait de madame Hanka Zborowska, 1917
Huile sur toile • Coll. Galleria Nazionale d’Arte Moderna e Contemporanea, Rome • © Bridgeman Images
Autre tableau qui fait l’objet de toutes les attentions des sœurs Chamade : le Cat’s Eyes ! Selon elles, son cadre abriterait une discrète carte mémoire contenant l’inventaire des œuvres du cher papa disparu. Nommé comme notre groupe de voleuses, ce tableau de style cubiste, empruntant autant à Paul Klee qu’à Robert Delaunay, n’est que pure invention : c’est un décor de cinéma cosigné par Hervé Gallet, chef décorateur de la série, et la graphiste Frédérique Frick (nommée comme l’auteur de la toile par les personnages). Les couleurs du Cat’s Eyes font écho aux combinaisons du trio de voleuses : orange, bleu et violet.
Elle brille en particulier dans le premier épisode : la tour Eiffel est l’un des endroits importants de l’intrigue. Rappelons que la mise en lumière du monument est une œuvre en soi que l’on doit à l’éclairagiste Pierre Bideau. La série enchaîne les décors de prestige d’un épisode à l’autre, nous entrainant dans les salles comme dans les sous-sols crayeux du château de Versailles.
Série Cat’s Eyes sur TF1 au château de Versailles, 2024
© Caroline Dubois / BIG BAND STORY / TF1
Pour l’anecdote, sachez que les scènes de bals ont été tournées à Vaux-le-Vicomte, car il est interdit de danser sur le parquet de Versailles pour des questions de conservation. Autre château visible, celui du Héron, autrement appelé château de Dampont, situé à Us dans le Val-d’Oise. Il est la demeure de Guillaume de Tonquédec, machiavélique trafiquant d’art.
Le patrimoine du XXe siècle est aussi à l’honneur dans les pas d’Alexia, reine du Parkour, que l’on voit crapahuter avec sa bande de copines sur les marches de la BnF François Mitterrand, œuvre de l’architecte Dominique Perrault, ou sur les hauteurs du Palais omnisports de Bercy, pensé par l’ingénieur et designer Jean Prouvé. Enfin, dans les épisodes 5 et 6, les sœurs vivent bien des péripéties au musée du Louvre, suspendues dans la cour Marly… On les voit aussi passer par l’Auditorium, la salle du Manège et carrément se battre dans le laboratoire du Centre de recherche et de restauration des musées de Franc (C2RMF)… Totalement fermé au public et aux voleurs !
Finalement, malgré quelques incongruités – les familiers du Louvre auront remarqué le cheminement improbable des héroïnes – cette série de divertissement sert une intrigue dans le milieu de l’art plutôt crédible. Même si on n’a jamais rencontré de tueuse à gages (Élodie Fontan) dans les cabinets d’experts en art !
Cat's Eyes
Par Michel Catz
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